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Le 22 novembre 1958
KARMA
Cette sorte de Fatalité que l'on sent peser parfois sur sa vie,
ce que dans l'Inde on appelle Karma, c'est la conséquence de vies antérieures ;
oui, quelque chose qui est à épuiser, qui pèse sur la conscience.
Les choses se passent ainsi : c'est l'être psychique qui passe
d'une vie à l'autre, chaque vie sur terre étant l'occasion et le moyen d'un
progrès nouveau, d'une croissance nouvelle; mais il peut arriver que le
psychique s'incarne avec l'intention de faire une certaine expérience,
d'apprendre une certaine chose, de développer une certaine faculté à travers une
expérience définie. Et alors, dans cette vie-là, dans la vie où cette expérience
devrait être faite, pour une raison ou une autre, elles peuvent être multiples,
l'âme n'est pas tombée juste à l'endroit où il fallait; un déplacement
quelconque peut se produire, un ensemble de circonstances contraires — cela peut
arriver — et alors l'incarnation avorte tout à fait et l'âme s'en va pour
attendre une occasion meilleure. Mais dans d'autres cas, l'âme est seulement
mise dans l'impossibilité de faire exactement ce quelle voulait et elle se
trouve entraînée dans des circonstances fâcheuses. Non seulement fâcheuses à un
point de vue objectif, mais fâcheuses pour son propre développement; et cela la
met dans la nécessité de recommencer l'expérience, souvent dans des conditions
beaucoup plus difficiles.
Et si — tout arrive, n'est-ce pas —, si à la seconde tentative
il y a aussi un insuccès, si les conditions rendent impossible une fois de plus
ce qu'elle veut faire — par exemple si elle se trouve dans un corps ayant une
volonté insuffisante, ou une déformation dans la pensée, ou un égoïsme trop
coriace, et que l'épreuve se termine par un suicide, alors c'est effroyable.
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J'ai vu cela bien des fois, cela crée un Karma épouvantable, qui peut
se répéter pendant des vies et des vies avant que l'âme puisse vaincre et faire
ce qu'elle veut faire. Et chaque fois les conditions deviennent plus difficiles,
chaque fois cela exige un effort encore plus considérable. Il a été dit parfois
qu'on ne peut pas s'en sortir. En effet, le souvenir subconscient du passé crée
une sorte de désir irrésistible d'échapper à la difficulté, et on recommence la
même bêtise ou une bêtise plus grande encore, et à la difficulté déjà si grande
s'en ajoute encore une autre. Et aussi il y a des moments — des moments ou des
circonstances — où il n'y a personne là pour vous aider, pour vous instruire,
pour vous guider, on est tout seul, sans savoir à quoi s'accrocher; alors la
situation devient si affreuse, les circonstances sont si abominables.
Mais si l'âme a fait ne serait-ce qu'un appel, si elle a eu ne
serait-ce qu'un contact avec la Grâce, dans la vie suivante, une fois, on se
trouve dans les conditions où tout peut être balayé d'un coup. À ce moment-là il
faut un grand courage, une grande endurance, mais parfois il suffît d'un amour
véritable; et s'il y a la foi, une chose, une toute petite chose suffit et...
tout est balayé. Mais dans la plupart des cas il faut un grand courage stoïque,
une capacité d'endurer et de durer; la résistance, surtout dans les cas de
suicide antérieur — la résistance à la tentation de recommencer cette ineptie;
car elle fait une formation terrible. Il y a aussi cette habitude de ne pas
regarder en face la difficulté qui se traduit par une fuite; quand la souffrance
vient : fuir, fuir, au lieu d'absorber la difficulté, de tenir bon, c'est-à-dire
de ne pas bouger au-dedans, de ne pas céder, oui, surtout ne pas céder quand on
sent en soi "je ne peux plus le supporter". Tenir la tête aussi tranquille que
possible, ne pas suivre le mouvement, ne pas obéir à la vibration.
C'est cela qu'il faut, juste cela : la foi dans la Grâce, la
perception de la Grâce, ou bien l'intensité de l'appel, ou encore mieux, la
réponse, la réponse, le nœud qui s'ouvre, qui se brise, la réponse à cet amour merveilleux de la Grâce.
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C'est difficile sans une forte volonté, et surtout, et surtout
la capacité de résister à la tentation qui a été la tentation funeste à travers
toutes les vies, parce que son pouvoir s'accumule. Chaque défaite lui donne de
la force. Une toute petite victoire peut la dissoudre.
Le plus terrible, c'est quand on n'a pas la force, le courage,
quelque chose d'indomptable. Combien de fois ils viennent dire : "Je veux
mourir, je veux m'enfuir, je veux mourir" — on leur répond : "Mais mourez donc à
vous-mêmes ! On ne vous demande pas de laisser survivre votre ego ! Mourez à
vous-mêmes puisque vous voulez mourir ! Ayez ce courage-là, le vrai courage, de
mourir à votre égoïsme."
Mais parce que c'est un Karma, il faut faire quelque chose
soi-même. Le Karma c'est la construction de l'ego; i\faut que l'ego fasse
quelque chose, on ne peut pas tout faire pour lui. C'est cela la vraie chose; le
Karma est le résultat des actions de l'ego, et c'est quand l'ego abdique que le
Karma se dissout. On peut l'aider, on peut le secourir, on peut lui donner la
force, on peut lui passer le courage, mais il faut qu'il les utilise.
Il y a un tel abîme entre ce que l'on est vraiment et ce que
nous sommes, que cela donne parfois le vertige. Il ne faut pas se laisser aller
au vertige. Ne pas bouger. Rester comme une pierre, jusqu'à ce que cela passe.
Généralement, quand l'heure est venue pour un Karma d'être
conquis et absorbé par la Grâce, l'image ou la connaissance ou l'expérience des
faits exacts qui sont la cause du Karma, vient, et alors, à ce moment-là, on
peut faire le geste qui nettoie.
Mais c'est justement sur le point le plus pénible, là où les
suggestions sont les plus fortes, c'est là qu'il faut tenir le coup, autrement
c'est toujours à recommencer, toujours à recommencer.
Un jour, un moment vient où il faut que ce soit fait; on doit
faire le vrai geste intérieur qui libère.
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À vrai dire, il y a maintenant sur la terre une occasion qui ne se présente qu'après des
millénaires, une aide consciente avec le pouvoir nécessaire. Il était entendu
que rien n'avait le pouvoir de supprimer les conséquences d'un Karma, que
c'était seulement en l'épuisant par une série d'actions purificatrices que ses
conséquences pouvaient être transformées, épuisées, supprimées. Mais avec le
pouvoir supramental cela peut se faire sans avoir besoin de suivre tous les
degrés du processus de libération.
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